Dans la suite de l’action déjà menée en avril dans le cadre des EGM pour interpeller les députés, et face au risque de voir le projet de loi encore durci au Sénat, nous vous proposons un modèle de lettre à adresser à vos sénateurs, ainsi qu’une liste des contacts des sénateurs afin de demander à les rencontrer, et leur faire part de vive voix de vos analyses et des constats de terrain.
Voici un modèle de lettre sous deux formats :
Adresses des sénateurs du Maine et Loire :
M. Joël Bigot | joel.bigot@senat.fr |
M Emmanuel Capus | e.capus@senat.fr |
Mme Catherine DEROCHE | c.deroche@senat.fr |
M. Stéphane Piednoir | s.piednoir@senat.fr |
Expéditeur :
Date :
Madame la sénatrice,
Monsieur le sénateur,
Vous débattrez prochainement du projet de loi portant sur l’immigration et l’asile, adopté en première lecture par l’Assemblée nationale le 22 avril 2018.
L’écrasante majorité des dispositions contenues dans ce projet de loi gouvernemental suscite notre vive inquiétude, et en tant que citoyen.ne.s/collectif (ou) association, nous souhaitons vous en faire part.
Cette lettre ne vise pas à faire un recensement exhaustif de toutes les mesures qui appellent selon nous des critiques, mais s’efforce d’attirer votre attention sur quelques uns des points de la réforme projetée qui nous paraissent particulièrement alarmants. Nous espérons que nous aurons l’occasion d’évoquer oralement avec vous d’autres sujets.
L’ACCÉLÉRATION DU TRAITEMENT DES DEMANDES D’ASILE
La réduction du délai d’instruction des demandes d’asile est une mesure régulièrement annoncée à chaque nomination d’un nouveau ministre de l’intérieur et à chaque réforme du droit des étrangers. Or une telle mesure : ne corrigerait en rien les insuffisances du système national de l’asile ;
serait lourdement préjudiciable aux personnes qui demandent protection à la France.
Aujourd’hui la crise du système de l’asile procède de plusieurs difficultés, mais d’abord et en premier lieu des obstacles auxquels sont confrontées les personnes qui souhaitent demander l’asile à la France.
Le délai légal de 3 jours (10 maximum) est loin d’être respecté par les préfectures dans un grand nombre des départements – ce qui a deux effets graves : priver les personnes des droits qu’elles auront lorsque leur demande aura été enregistrée (hébergement, allocation, aide à la préparation de leur dossier…) les laisser sans statut administratif sur le territoire, donc susceptibles d’être interpellées comme étrangères en situation irrégulière.
En second lieu, l’application systématique par la France du Règlement Dublin III conduit à ce qu’une large part des demandeurs d’asile en France soient renvoyés vers le premier pays ayant enregistré leurs empreintes (le plus souvent l’Italie ou la Bulgarie…), pays où les conditions d’accueil et de traitement des demandes sont catastrophiques. Ce règlement conduit aussi à placer les personnes ciblées en situation d’attente, des mois durant, sous des régimes d’assignation à résidence entravant leur liberté de déplacement, et cela avant même une éventuelle validation de la décision de transfert, et même à les enfermer en rétention. En 2017, 36% des demandeurs d’asile ont été placés en procédure Dublin.
Enfin, une part croissante des demandes est traitée en « procédure accélérée ». Or la procédure dite « accélérée » est loin d’être, comme on pourrait le croire, un traitement de faveur. Les personnes ont moins de garanties, moins de droits, et une moindre faculté de faire valoir les motifs qui les amènent à demander l’asile.
Vouloir accélérer le traitement des demandes d’asile, c’est priver les personnes de la possibilité de préparer leur récit et leur entretien dans de bonnes conditions, dans un pays dont ils ignorent souvent la langue et les usages, et alors qu’ils et elles viennent bien souvent d’échapper à des violences et des tortures, lesquelles nécessitent du temps et un soutien psychologique pour être formulées.
De la même manière, la généralisation d’audiences par « vidéo conférence », le recours aux SMS et aux courriers électroniques pour notifier une convocation ou une décision vont priver de fait une large part des demandeurs d’asile, en situation précaire, de conditions d’écoute et de traitement optimales et des capacités d’activer effectivement leur droit au recours.
LA RÉDUCTION DES DÉLAIS DE RECOURS EST UNE VÉRITABLE RÉGRESSION DES DROITS
La réduction du délai de recours – d’1 mois à 2 semaines – devant la Cour nationale du droit d’asile (CNDA) exclura une part des demandeurs de la possibilité concrète de contester les décisions. Malgré la possibilité introduite par les députés de déposer un « recours sommaire », trouver un·e interprète, une association, un·e avocat·e pour formuler un recours de qualité dans un délai aussi court est impossible.
Par ailleurs, l’« aménagement » du caractère suspensif du délai de recours devant la CNDA, l’exécution de la décision dès son prononcé, la réduction du délai de contestation des obligations de quitter le territoire français (OQTF) sont autant de mesures participant d’une grave régression des droits.
La systématisation des interdictions de retour sur le territoire, notamment pour toutes les personnes qui ont un refus de délivrance de titre de séjour bloquerait les personnes dans une précarité administrative et une irrégularité de séjour et porte des atteintes graves au droit au respect de la vie privée et familiale.
Il en est de même de l’extension du recours à la visioconférence pour les audiences devant le Juge des libertés et de la détention et le tribunal administratif, qui porte atteinte aux grands principes de la Justice et notamment aux droits de la défense.
UNE ATTAQUE CONTRE LE DROIT INCONDITIONNEL À L’HÉBERGEMENT
La circulaire du 12 décembre 2017, contestée par les associations en charge de l’hébergement, permet à des personnels de préfecture et de l’Office Français de l’immigration et de l’intégration (OFII) de se rendre dans les centres d’hébergement, hôtels et foyers et de demander des informations pour vérifier les situations administratives des personnes étrangères.
Le projet de loi entend la « légaliser » et instaurer des échanges d’informations en vue d’identifier et d’expulser des centres les personnes en situation irrégulière.
Un tel choix piétine le droit fondamental et inconditionnel à l’hébergement et forcera les travailleurs sociaux à violer le secret professionnel, principe déontologique central de leur profession.
On peut s’attendre par ailleurs à ce que des personnes préfèrent la précarité et la violence de la rue à un hébergement dans des lieux devenus des lieux de surveillance et de contrôle.
LA GÉNÉRALISATION DE L’ENFERMEMENT DES PERSONNES
D’autres dispositions prévues dans une logique d’efficacité accrue des expulsions et d’enfermement systématique nous heurtent profondément.
Ainsi, l’augmentation de la durée de la retenue administrative, qui passerait de 16h à 24 heures, est une mesure de confort pour l’administration, disproportionnée par rapport à la privation de liberté qu’elle induit.
L’allongement de la durée de rétention administrative, qui passerait de 45 à 90 jours, est une mesure inefficace au regard même des objectifs affichés : rendre effectives les décisions d’éloignement. Depuis de nombreuses années, en effet, les rapports associatifs et institutionnels ont démontré que la majorité des expulsions a lieu dans les 10 premiers jours de la rétention. Prolonger celle-ci n’a donc pas d’autre sens que punitif. De fait, plus longtemps dure l’enfermement, plus on observe ses effets délétères en termes de traumatismes, de gestes désespérés (auto-mutilations, tentatives de suicide…) et de tensions dans les centres de rétention administrative.
Par ailleurs, les députés n’ont su se mettre d’accord sur l’interdiction de l’enfermement des enfants dans ces centres de rétention, malgré les injonctions du Défenseur des droits et des associations, et malgré les condamnations à répétition de la France par la Cour Européenne des Droits de l’Homme.
L’extension des situations autorisant l’assignation à résidence et le durcissement des conditions de celle-ci, qui peut être assortie de l’obligation de demeurer au domicile pendant une plage horaire, participent également de cette logique punitive.
UN TEXTE QUI N’A RIEN D’« ÉQUILIBRÉ »
Les quelques mesures positives mises en avant par le gouvernement sont bien loin d’« équilibrer » la logique répressive du texte et apparaissent, en dernier ressort, comme un leurre pour vous faire voter ce texte liberticide. Les débats à l’Assemblée ont par ailleurs démontré la volonté de certains parlementaires de « durcir » plus encore ce texte, ce qui appelle à la plus grande vigilance de votre part.
Le texte pousse même l’ironie jusqu’à présenter certaines mesures comme protectrices alors qu’elles représentent un net recul des droits. Il en est ainsi par exemple pour les parents d’enfants français qui sont visés par des restrictions et un durcissement des conditions d’obtention d’un titre de séjour, au nom de « l’intérêt supérieur des enfants » !
Rien n’est prévu dans ce projet de loi concernant les centaines de milliers de personnes à qui est refusé un titre de séjour alors qu’elles vivent en France, y travaillent et y payent des impôts, contribuant ainsi à la vie sociale et économique de notre pays. Au contraire, les mesures répressives du projet de loi les impacteront elles aussi.
Ce projet de loi préparé par le ministère de l’Intérieur s’avère donc bien éloigné de la promesse du président de la République, évoquant un projet construit sur les deux termes « humanité et fermeté ».
Il en va de notre humanité commune de renoncer à une loi qui déshonore notre tradition d’accueil. Le gouvernement justifie ses dispositions par une prétendue déferlante migratoire incontrôlable, sans aucun rapport avec la réalité objective, et fonde son dispositif sur un diagnostic erroné : la véritable crise à l’œuvre n’est pas celle « des migrants », mais celles – politiques, sociales ou environnementales – qui précipitent les personnes sur les routes de l’exil, et l’incapacité des politiques migratoires menées depuis 20 ans à offrir les réponses adéquates.
Notre/mon association/notre/mon groupe s’inscrit dans le cadre des États Généraux des Migrations (EGM), qui rassemblent plus de 500 associations, collectifs, acteurs de terrain présents dans toute la France, et déterminés à mettre en évidence les initiatives d’accueil développées dans les territoires, et à alerter les pouvoirs publics sur la gravité des situations vécues sur le terrain.
Dans ma région/dans ma ville, j’observe/nous observons en effet depuis des mois…………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………
Nous vous demandons solennellement de ne pas adopter ce projet de loi en l’état, et nous vous appelons à vous emparer du dossier et à alimenter l’expertise et le débat au sein de votre groupe parlementaire, par exemple :
- En rencontrant les acteurs associatifs nationaux et locaux,
- En organisant l’audition d’experts indépendants, le Défenseur des droits ou encore la Commission consultative des droits de l’homme,
- En interrogeant le gouvernement à l’oral ou l’écrit sur les risques que comporte le projet de loi.
Nous vous proposons de nous rencontrer pour discuter plus avant des questions posées par ce projet, pour vous faire part de vive voix de nos analyses et des constats de terrain que nous faisons.
Dans cette attente, veuillez agréer, Madame la sénatrice, Monsieur le sénateur, l’expression de nos salutations distinguées.