La fête du 17 décembre 2019 au chemin de traverse vue par Clodine Porte-Plume

Clodine Porte-Plume, intervenante ateliers d’écriture, a accompagné les veilles de l’abri de nuit au début. Partie sur les routes, elle était de retour pour la fête ce mardi soir 17 décembre. Avec son accord nous publions ici le texte qu’elle a écrits sur son blog et publié sur Facebook, ainsi que ses photos.

Hier soir, au chemin de traverse.
Lieu introuvable sur le plan de la ville d’Angers, c’est déjà dire, symboliquement…

Alors, je voudrais dire.
Je voudrais dire beaucoup.

#Chemindetraverse17décembre2019

Quand je suis arrivée,  Dominique  » ouvrait  » la soirée. Retraçait l’histoire de SOS migrants 49, présentait le noyau dur des personnes bénévoles à l’origine de cette solidarité. Une poignée de personnes, cinq ou six. Il y a cinq ans peut-être. A chaque évocation du nom de l’une d’elles, mon cœur se serrait. L’émotion- admiration pour elles toutes, montait en moi. Et hier soir, de voir, comment la solidarité a gonflé, s’est répandue, m’a remplie de joie, mais aussi, les souvenirs revenaient, et avec eux, une tristesse infinie.

Il y a 4 ans, lors d’une veillée d’hiver, similaire à celle d’hier, l’appel aux bénévoles de SOS migrants 49 m’a touchée. Le musicien Titi Robin était là avec Denis Péan, chanteur de Lo’Jo. Ils étaient là, pour apporter un peu de réconfort à ceux qui attendent un abri d’une nuit et montrer leur solidarité. Dominique, Céline, Paul, Bernadette, avaient alors expliqué comment s’organisait l’aide à toutes ces personnes attendant, (espérant devrais- je dire), un toit pour la nuit, devant cet accueil d’urgence. J’avais alors rejoins l’équipe. Nous étions une poignée de plus. Au fur et à mesure de l’année, l’équipe a grossi, les veilles sont passées à deux, puis trois soirs semaines.

Nous étions présents avec les quelques vêtements à distribuer, quelques nourritures rapportées de chez nous.

Ce qu’on y faisait, là, sur le bitume ?

On échangeait avec ceux venus de l’enfer, on tentait d’adoucir l’attente, on expliquait les procédés complexes pour s’inscrire et avoir la chance, ou pas, de dormir à l’abri. Appeler le 115, attendre, attendre, attendre, donner son nom, pour entendre un Oui ou un Non. On prêtait son téléphone, sa voix, sa langue française …

On écoutait, donnait des « tuyaux », on orientait. Je pleurais, je riais. J’étais très reconnaissante envers les personnes aidantes bénévoles, j’étais intimidée, choquée, devant les récits des parcours des migrants et autres personnes à la rue, impressionnée devant leur reconnaissance, devant la joie des enfants malgré tout.

Hier j’ai vu, une organisation rodée, un mouvement qui a pris de l’ampleur, et j’ai vu aussi, ce nouveau lieu d’accueil d’urgence, coincé entre voie ferrée et boulevard passager, loin du centre ville…

Hier, la veillée avait l’allure d’une fête de village. Ceci grâce à tous les bénévoles, qu’ils soient particuliers ou rattachés à une association (pas moins d’une douzaine). 

Des toits de barnum colorés, de la lumière partout, de la nourriture, de l’animation, de la musique, un vestiaire … Si les plats étaient appétissants, si l’odeur était alléchante, je n’ai partagé aucune assiette, aucun bol, avec ceux de la rue, avec les amis retrouvés. Quelque chose en moi, de noué. 

Me revenaient en tête-cœur-estomac, mes veillées d’il y a trois, quatre ans. Ces soirs d’hiver, au froid et à la pluie, où l’attente était pesante, où les places d’hébergement étaient insuffisantes, alors nos recherches de lieux  » sûrs  » pour ceux restés en dehors de l’abri d’urgence. Parfois en vain. 

Ces soirs d’été où, obligés d’entrer si tôt dans le campement. Enfermés à double tour dans ce lieu, mieux que rien certes, sans herbe et sans oiseau. Je me souviens des enfants, devant et derrière les grilles. 

Je me souviens.
Je me dis que rien n’a changé. Le minimum par les pouvoirs publics. 

Si ! Quelque chose a changé ! C’est la solidarité, la mobilisation, l’aide ! Le nombre de jokers, accueillant sous leur toit, ceux qui n’en ont pas, à grandi.  Ils accueillent pour une nuit seulement ! Et seulement en cas de défaillance du système d’urgence. Le lendemain, les familles, les hommes et les femmes, retourneront suivre la procédure officielle. Les jokers seront à nouveau là au cas où… Non sans signaler le nombre insuffisant de places au 115. Sans eux, ces personnes dormiraient dehors. Ça aussi ça me bloque l’estomac, mais de manière chaleureuse : la solidarité généreuse donnée par les habitants et non par les mesures politiques.

Les soirs suivants, ceux d’après le mardi de fête 17 décembre, je n’étais pas là, mais j’imagine sans peine la tristesse du lieu, et toujours l’attente dehors, sous la pluie parfois. 

Les soirs suivants, je sais la chaleur toujours entre les veilleurs et les sans toit. Je sais la joie de ceux que ces bénévoles accompagnent, le sourire sur leurs lèvres de les retrouver quotidiennement et le ventre rieur parce que nourri. Je sais le découragement aussi. Des uns, des autres. La désespérance. 

C’est bientôt Noël.

Le centre ville est illuminé, les rues en frénésie d’achat. La  » Maison des élus  » se refait une beauté. Hôtel de ville… Tiens, et s’il y avait vraiment hôtel ? Hôtel pour tous.

Celui dont je vous parle, provisoire, pour une nuit loterie, est coincé entre voie ferrée et voie routière, en contrebas, quasi invisible pour les piétons, invisibles pour les autos. 

En centre ville, d’où les sans abris ont été délogés, ça brille. La ville est belle. Un peu moins depuis que les arbres ont été abattus pour la 2ème ligne du tram. Tram qui n’arrivera pas à l’hébergement d’urgence. 

Les préfabriqués du 115, ne sont pas suffisants. Femmes et enfants dorment parfois dehors, hommes souvent, la nuit.

Moins nombreux depuis que les formidables jokers hébergeurs se sont multipliés.

C’est bientôt Noël, alors peut être un cadeau ? A défaut d’un centre plus grand… Un abri avant les grilles, pour les heures d’attente avant d’avoir le droit de rentrer ou d’être refouler ? Un point d’eau ? Un banc ? Deux bancs ? Pour soulager les corps, pour asseoir les poupées cadeaux des enfants, pour déballer le sac et chercher le pull… Des toilettes ?

Bref un sas d’accueil avant l’accueil de nuit. Est- ce possible ?

Mesdames, messieurs les décideurs, les financeurs, une ville est belle que lorsqu’elle ne cache pas sa misère mais en prend soin.

Belle en son cœur, pas seulement en son centre, belle dans l’accueil, pas seulement en façade.