« Maintenant la nuit est tombée. Dans la ville, là-bas, à portée de nos regards, sans doute des gens paisibles, peut-être pas forcément heureux, mais paisibles, c’est du moins comme ça que nous les imaginons, des gens paisibles donc s’apprêtent à dormir. Les lits ont été faits le matin et comme cela doit être bon d’ouvrir les draps, de s’y glisser, de fermer les yeux sans se demander de quoi demain sera fait. Juste de se reposer parce que la journée est achevée et qu’alors il y a place pour un demain à venir.Nous, nous ne dormons pas.
Depuis longtemps, nos journées ne connaissent pas d’achèvement car la question toujours irrésolue du lieu où vivre empêche tout achèvement. Alors, chaque soir, lorsque pour tous ceux qui habitent quelque part, le temps est venu du repos, nous, nous restons suspendus.
Cette nuit ici, et demain où ? Quand ferons-nous à nouveau les lits, quand lisserons-nous à nouveau les draps que nous aurons repassés, du plat de notre main ?Quand on ne sait plus où vivre, on ne sait plus très bien qui on est vraiment non plus.
C’est vrai, nous ne savons plus très bien qui nous sommes et le crépuscule nous a ouverts à nouveau au doute.
[…] Comment trouver le sommeil ? Notre nuit sera trouée d’abîmes. »
Extraits de « Ceux qui partent » de Jeanne Benameur
p122,123 – Actes Sud – 2019